Un "petit fer à cheval" dans le bois de Vincennes, qui l’eût cru ?
Les bonnes nouvelles sont plutôt rares en écologie, alors ne boudons pas notre plaisir. De fait, notre capitale héberge désormais une nouvelle espèce de chauves-souris. « C’est vraiment surprenant ! On pensait que le petit Rhinolophe était totalement absent de Paris et de la petite couronne depuis 50-60 ans » se réjouit Jean-François Julien, chiroptérologue au Muséum. Une nouvelle d’autant plus surprenante que le petit mammifère volant, très sensible aux activités humaines, avait déserté les métropoles du nord de la France et de l’Europe depuis de très nombreuses années. Grâce à notre protocole Vigie-Chiro nous en sommes certains : le petit Rhinolophe fait son grand retour dans la capitale.
Etranges signaux
Nous sommes en juillet 2016. Comme tous les étés, la ville de Paris mène une campagne de suivi des chauves-souris dans le bois de Vincennes. Selon le protocole Vigie-Chiro, des enregistreurs automatiques sont placés la nuit à divers endroits afin de capter les ultra-sons émis par les chiroptères. Ces signaux inaudibles pour l'Homme leur permettent de se repérer dans l’espace et de chasser.
Mais cet été-là, certains ultra-sons sortent du lot. Nul doûte sur leur appartenance : il s’agit bien d'un petit Rhinolophe. « Cette espèce est très facile à vérifier acoustiquement car sa signature vocale est caractéristique », reconnaît Jean-François qui a participé à l’identification. Elle émet en effet des sons d’une fréquence extraordinairement haute, de plus de 100 000 Hz (écouter lecteur ci-dessous)! A titre de comparaison, une espèce comme la pipistrelle commune, que l’on « entend » régulièrement dans cette zone se situe autour de 45 000 Hz. Rappelons que l’homme ne perçoit plus les sons au-delà de 15 000 Hz…
Un seul signal c’est bien, mais ça ne prouve pas grand-chose. « On a d’abord tenu ce passage pour un évènement fortuit. Il se pourrait, en effet, qu’un individu seul ait été transporté accidentellement par camion ou péniche et qu'il se soit retrouvé ensuite isolé dans le bois » admet Jean-François. Et un petit Rhinolophe seul, surtout si l'environnement ne lui convient pas, ne fait pas de vieux os. Les chercheurs n’ont donc pas fait grand cas de cette première rencontre. Jusqu’à ce que l’année suivante, en juillet 2017, le signal se répète… à trois endroits différents ! "Nous étions à présent sûrs qu'il y avait au moins deux voire trois individus distincts. Et enfin qu'il s'agissait de femelles, en période d’allaitement... » L'hypothèse de "l'accident de parcours" se voit alors tout de suite écarté : des Petits rhinolophes ont bien élu domicile dans le Bois de Vincennes.
Déclin du fer à cheval
Parmi les 36 espèces qui vivent en France, le Petit Rhinolophe est l’une des plus petites. Son corps a la taille d’un « gros pouce » ; les ailes déployées, son envergure ne dépasse pas 20 centimètre. Il est aussi très reconnaissable à son nez - la feuille nasale pour être précis – en forme de fer à cheval. Cette originalité lui vaut ainsi le nom de « petit fer à cheval ». C’est d’ailleurs par ce même nez que sont émis les ultra-sons, contrairement à la plupart des chauves-souris qui les émettent par la bouche. Côté répartition, le Petit rhinolophe vit en Asie et un peu partout en Europe, principalement au sud de la Hollande et autour du bassin méditerranéen jusqu'au Maghreb.
« Jusqu’au début du XXème siècle, le Petit rhinolophe était très fréquent partout en France ! explique Julie Marmet également chiroptérologue au MNHN et collègue de Jean-François. Or, aujourd’hui, il a quasiment disparu. On trouve des populations plus consistantes dans le centre et le sud du pays, mais au nord, plus rien ou presque. Le "petit rhino" a même complètement déserté des pays comme la Belgique et le Luxembourg ! Comment en est-on arrivé là ? « C’est à partir des années 50 que les populations ont commencé à s’effondrer. A cette époque, on commence à abreuver les champs d’insecticides ultra-toxiques de la famille du DDT, aujourd’hui interdits », déplore Jean-François. Les insectes succombant rapidement, oiseaux et chauves-souris - insectivores pour la plupart – ne trouvèrent plus de quoi se nourrir. S’ensuivra une hécatombe pour de nombreux animaux liés aux milieux agricoles. Le Petit rhinolophe, lui, ne s’en remettra pas.
Cette cause principale ne doit pas occulter d’autres facteurs. Comme souvent en écologie, il n’y a pas qu'un seul coupable - sinon l’Homme – mais plusieurs. Parlons plutôt d’un cocktail funeste. Le déclin du petit Rhinolophe peut être imputable aux traitements chimiques des charpentes où il aime gîter, mais aussi à la pollution lumineuse. Car notre petit mammifère déteste la lumière, plus encore que les autres ! Enfin les zones boisées ou bocagères qui disparaissent en campagne sont autant de terrains de chasse en moins pour les chauves-souris.
Après une succession de coups de massues entre les années 50 et 70, les populations commencent à se reconstituer à partir des années 80. Petit à petit, avec les mesures de sauvegarde des espaces naturels, la diminution des pesticides en ville et des traitements de charpente, les colonies réapparaissent ici où là. Mais le processus est très, très lent ! « Les femelles ne sont pas capables de se reproduire la première année, ensuite elles ne font au mieux qu’un seul petit par an. Les populations sont donc très lentes à se reconstituer. Il faudra attendre encore longtemps avant qu’elles reviennent aux niveaux où elles se situaient avant les années 50 », déplore Julie Marmet.
Espèce underground
« Ce qui rend la découverte du Bois de Vincennes exceptionnelle, c’est que le petit Rhinolophe est l’une des espèces les plus sédentaires. Elle se déplace très peu entre son terrain de chasse et son gite et entre ses gites d’hiver et d’été, » précise Jean-François. « Par ailleurs, le bois est aussi très enclavé : pour sortir du bois et rejoindre une autre forêt, il faut traverser des kilomètres de zones construites et surtout éclairées. Exploit dont le petit Rhinolophe est incapable. » Nous avons donc bien affaire à des colonies très ancrées sur leur territoire. Le Bois de Vincennes présente déjà, avec le Bois de Boulogne, un intérêt écologique très fort. « Dans le bois de Vincennes on retrouve une dizaine d’espèces de chauves-souris en tout, comme la Sérotine commune, le Murin de Daubenton ou la Pipistrelle commune. C’est la moitié de ce qu’on trouve dans toute l’Ile de France », insiste le chiroptérologue. 995 hectares avec une mosaïque de paysages (prairies, lacs, bois…) peu d’éclairage et peu de circulation automobile: pas étonnant que le petit rhino, lui aussi, ait décidé de poser ses valises ici.
Une grande question demeure : où ces chauves-souris gîtent-elles, précisément ? Et notamment cet hiver, où dorment-elles ? « On n’en sait rien, admet Jean-François. Les signaux reçus proviennent de chauves-souris en pleine chasse dans le bois, mais on n’a aucune idée de l’endroit où elles dorment pendant la journée ! On sait simplement que cette espèce gîte dans de petites cavités. » Il y a de fortes chances, en effet, qu’elles aient trouvé refuge dans quelques-uns des nombreux conduits sous-terrain que possèdent la région parisienne, catacombes, puits, égouts etc. Contrairement à la majorité des espèces qui se reposent dans les arbres morts, le petit Rhinolophe préfère les sous-sols en hiver. Autre possibilité : les greniers ou combles non traités chimiquement des résidences proches du bois de Vincennes.Pour en savoir plus, il va falloir repartir sur le terrain. « Nous devrons poser d’autres enregistreurs pour mieux les localiser. Puis nous irons prospecter les gites potentiels, toutes les cavités, les greniers, les puits etc. Ce n’est pas simple, car tout n’est pas accessible… C’est notre mission pour l’année 2018 » annonce Jean-François. Comme toutes les chauves-souris de France, le petit Rhinolophe est protégé. « Il fait même l’objet d’une protection renforcée par un décret européen, précise Julie, comme toutes les espèces dites d’intérêt communautaire qui correspond à un quart de l’ensemble des espèces. » « Ainsi, s’il y a découverte de gites, on devra les maintenir en état ; d’abord en les préservant des dérangements humains et puis en maintenant en état les greniers, les combles détruits, dégradés, ou en aménageant carrément des bâtiments » poursuit Jean-François.
Lorsque vous irez dans le Bois de Vincennes, n’espérez pas voir de petits fer à cheval, même la nuit. « En plus d’être minuscules, ils sont très craintifs. Même nous, on en a rarement vu voler », confesse Julie. A défaut de pouvoir les observer, vous pourrez penser à ces mammifères fragiles qui dormiront non loin de vous, peut-être sous vos pieds. En ce moment, ils hivernent accrochés par les pattes en hauteur, les ailes recouvrant leur corps, tel de petits paquets suspendus. Les petits Rhinolophes vont ils se montrer ailleurs dans d’autres villes du nord de la France ? Jean-François est optimiste : « On a eu une énorme surprise, on n’est pas à l’abri d’une autre [surprise]. » Un fer à cheval, ça porte chance, non ?
Hugo.
PS : merci à la Ville de Paris et en particulier à Michel Neff, du service espace vert de la ville de Paris et forestier au bois de Vincennes qui a installé les enregistreurs.
Vigie chiro : 1 programme, 3 protocoles
Il y a trois protocoles différents dans Vigie-Chiro. Le « pédestre » consiste à se promener avec un détecteur, et faire 10 points d’écoute de 6 min. Le « routier » qu'on réalise dans sa voiture, à 25 km/h avec l’enregistreur accroché à la fenêtre ou tenu par un passager. Et puis le nouveau protocole « point fixe », qui a permi de detecter le petit Rhinolophe, avec un enregistreur automatique qui enregistre pendant une ou plusieurs nuits entières. En savoir plus… ICI
En ce moment, les petits Rhinolophes hivernent accrochés par les pattes en hauteur, les ailes recouvrant leur corps, tel de petits paquets suspendus. Charlie Jackson ©
Un grand merci à Hugo Struna pour cet article ! Retrouvez toutes ses publications sur le blog Vigie-Nature.