On a rencontré Eric Schollaert, un des « supercontributeurs » du programme Oiseaux des jardins à Boubers sur Canche, un petit village du Nord-pas-de-Calais. En trois ans il a compté pas moins de 17 000 oiseaux, et ce uniquement à l'oreille ! Observateur minutieux, participant hyper assidu, il répond (discrètement) à nos questions en pleine pratique.
Quelle est votre fréquence de comptage ?
Quotidienne. Tous les matins, avant de partir au travail, je me rends sur trois sites différents pour rencontrer les oiseaux. Durant la belle saison, je pars de chez moi vers 6h45-7h direction le centre-village où coule la Canche, un petit fleuve plein de charme. L'endroit est extrêmement calme, paisible à cette heure-là. Bercé par le bruit de la chute d’eau, je vis alors pleinement l’instant présent. Je me poste en général sur un petit pont et commence à compter, immobile, pendant 3 minutes. Je retiens tout de tête. En ce moment j’y observe surtout des Troglodytes, Merles, Moineaux et oiseaux des milieux aquatiques comme la Bergeronnette des ruisseaux, la Poule d’eau ou le Canard colvert. Je me souviendrai toujours de la première fois que j’ai aperçu une petite « flèche bleue » passer à toute vitesse sous le pont. C’était un martin pêcheur, espèce malheureusement de plus en plus rare.
Où allez-vous ensuite ?
Je traverse la rivière et me dirige tranquillement vers le deuxième spot : une zone naturelle communale laissée en friche derrière le stade de football. Ce lieu préservé où s’épanouit une végétation de marais m’a permis de rencontrer quelques espèces peu fréquentes, comme un Phragmite des joncs l’année dernière ou une Grande aigrette récemment. Là je compte en marchant pour pouvoir identifier l’ensemble des oiseaux cachés dans la végétation. Il me faut 20 minutes pour en faire le tour, après cela je rentre tranquillement chez moi pour le dernier comptage dans mon jardin. Cette promenade solitaire avec les oiseaux m’apporte le plus grand bien : on se ressource, on s’accroche au temps présent... idéal avant de démarrer une journée de travail. Parfois, lorsque je me poste au-dessus du fleuve, un voisin m’interrompt gentiment : « alors ça siffle ? »
Vous observez en effet tous les oiseaux… à l’oreille. Pour quelle raison ?
Puisque je perçois très mal les couleurs, j’écoute. Au début cette incapacité à occasionné une frustration chez moi. Mais j’ai réussi à en faire une force. Aujourd’hui l'écoute des chants, des cris m’apporte une certaine sérénité, j’aime me plonger dans cette symphonie sans être dérangé. La reconnaissance est également plus précise ! Le Pouillot véloce et le Pouillot fitis, par exemple, ne se différencient que par la couleur des pattes ; il est quasiment impossible pour un amateur des les distinguer. Par contre les deux chants n'ont rien à voir. Le véloce émet un « Tiap tiap tiap » ; le fitis, plus lancinant, un « fui fui fui fui ». De même le petit Grimpereau des jardins, espèce qui grimpe aux arbres, se distingue très mal à l’œil nu. Ses petits cris d’appel aigus en revanche, une fois mémorisés, ne trompent pas. Pouvoir associer un individu aperçu avec un chant reste l'idéal bien-sûr, mais on peut tout à fait faire connaissance avec eux sans les voir, en fermant les yeux...
Il y a 5 ans vous ne reconnaissiez aucun chant… Comment avez-vous appris ?
Non je n’avais aucune connaissance à la base ! Au départ on assiste à une cacophonie, et puis petit à petit on parvient à distinguer quelques chants. Les premiers mois je me suis limité aux oiseaux les plus simples : Mésanges, Moineaux, Grives, Merles, Etourneaux, Tourterelles ou encore Faisans qui se distinguent tous assez facilement. C’est aussi ceux que je croisais le plus fréquemment. Il faut être humble au début et se limiter aux espèces que l'on connaît déjà où qu’on apprend à connaître et augmenter le nombre très progressivement. Aujourd’hui je reconnais une soixantaine d’espèces. Je ne vous cache pas qu’il faille un minimum d’entrainement. A la manière d’un musicien, je revois régulièrement mes gammes. J’utilise aussi des moyens mnémotechniques. Par exemple un des cris de la Fauvette à tête noire ressemble à deux silex qui s’entrechoquent : « chac-chac-chac ». Et puis l’oreille s’habitue très vite. Je parviens maintenant à deviner à l'ouïe la position et le comportement de l’oiseau. Je peux ainsi savoir comment il va se poser, s’envoler ; quelle est sa posture au sol à un instant t. Je dirais qu’il faut 3 ans à peu près de pratique régulière pour être l’aise.
Rassurez-nous : il vous arrive encore de butter sur un chant qui vous échappe ?
Oui dès que j’arrête un peu – ça m’arrive -, je commence à oublier… Je dois alors réécouter un chant précis sur internet pour confirmation. Je conseille d’ailleurs à tout le monde de s’exercer sur le web, il y a une multitude de sites et de vidéos très pédagogiques. Personnellement, j'ai utilisé l’ABC des chants d'oiseaux de Pierre Palengat (Studio les Trois Becs). La voix de Pierre nous accompagne, pas à pas, dans l'apprentissage, c’est très utile. Et puis il faut accepter de ne pas savoir, ce qui m’arrive encore. Pendant des années j’ai confondu l’Accenteur mouchet avec le Moineau domestique. Dans ce cas précis, les deux silhouettes se ressemblent alors que les chants diffèrent ! Je me disais : quel est donc cet oiseau qui ressemble à un moineau, mais qui passe son temps au sol en train de fureter comme une souris ? J’ai fait des recherches et désormais ils ne me la font plus !
Et vous, arriverez-vous à distinguer l’Accenteur mouchet du Moineau ?
Ecouter les oiseaux permet de les reconnaître avec plus de précision qu'à l'oeil nu, selon Eric. Ici, sur son second site de comptage.
Y a-t-il des espèces que vous n’avez toujours pas entendues à Boubers sur Canche ?
J’aimerais beaucoup rencontrer le moineau friquet que je n’ai encore jamais croisé, la huppe également. Je vois aussi que les hirondelles et les martinets se font plus discrets, peut-être parce qu’ils trouvent peu d’endroits pour se reproduire. Mais globalement nous avons de la chance : grâce aux nombreuses actions de préservation des milieux naturels dans notre village, la biodiversité reste très riche. Et en ce mois de mai où la nature s’éveille, tout est décuplé : on entend notamment les cris d’appel des couples qui viennent de se former. A ne pas confondre avec les cris d’alerte que je distingue parfois suite à mon arrivée. Je passe alors mon chemin à toute vitesse. Je veux toujours rester le plus discret possible.
Les chants d’oiseaux ne vous « obsèdent » pas trop ?
Parfois oui. Où que je me rende, il m’est impossible de passer à côté du moindre chant d’oiseau. Pour la petite anecdote, j’étais au cinéma un jour avec ma compagne pour voir le film Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu. Dans la première scène, la famille déjeune dans un grand parc. J’entends alors un Pouillot fitis qui devait se trouver près de la tablée au moment du tournage. Résultat : je n’ai pas pu suivre tous les dialogues ! Dans la cours d’école où j’enseigne, c’est la même chose : je parviens à entendre les petits Roitelets parmi les 30 élèves et le brouhaha ambiant. L’oreille à tendance à se diriger exclusivement vers les sons qui m’intéressent.
Qu’est-ce que l’écoute des oiseaux vous apporte personnellement ?
Cela m’apporte une grande sérénité, des instants de méditation ; je me retrouve avec moi-même. L’oiseau nous transmet tout cela, notamment par le chant. J’aimerais citer un passage du dernier roman d'Amélie Nothomb Riquet à la Houppe que je suis en train de lire et qui résume bien mon sentiment : "Ce que l'oiseau nous apprend, c'est qu'on peut être libre pour de bon, mais que c'est difficile et anxiogène. Ce n'est pas pour rien que cette espèce est toujours sur la qui-vive : la liberté, c'est angoissant. Contrairement à nous, l'oiseau accepte l'angoisse."
Merci à Hugo Struna pour cet article ! Retrouvez toutes ses publications sur le blog Vigie-Nature.
Réponse complète dans la vidéo ci-dessous.
Pour particper à Oiseaux des jardins et découvrir le protocole rendez-vous sur le site ICI